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« Le BAME va renforcer son influence sur les politiques publiques » Dr Astou Diao Camara, Directrice de l’ISRA/BAME, à la « Une » de la Lettre de l’ISRA

Le BAME entend renforcer son influence sur l’éclairage des politiques publiques pour mieux remplir sa mission. C’est ce que révèle sa Directrice dans l’entretien qu’il a accordé à « La Lettre de l’ISRA ». Dans cette interview, Dr Astou Diao Camara passe au peigne fin les chantiers du BAME, le degré d’implication de l’ISRA dans le projet de transformation de l’agriculture en cohérence avec nos objectifs de souveraineté alimentaire, entre autres.

Publié le 5 décembre 2022

Pouvez-vous revenir sur les missions qui sont assignées au BAME ?

Le Bureau d’analyses macro-économiques (BAME) est une unité de Recherche transversale de l’Institut sénégalais de recherches agricoles. Le BAME est spécialisé dans les recherches en sciences sociales en appui aux politiques de développement agricole, agro-alimentaire et rural. Il faut tout de même préciser qu’il ajuste ses missions et objectifs en fonction des contextes.
Il comprend une quinzaine de chercheurs.
Le BAME s’engage aussi à éclairer les processus de prise de décisions des acteurs dans production agrosylvopastorale, la valorisation et commercialisation des productions, ainsi que les processus de construction de politiques publiques agricoles. Il est acteur dans le dialogue politique parce que quand on est en mesure de produire de la connaissance pour informer ces différents acteurs, on doit pouvoir aider à ce que ces décideurs comme les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et les décideurs publics échangent leurs perspectives sur les enjeux de l’Agriculture et de son développement au Sénégal.
On peut bien entendu spécifier les missions du BAME à travers des thématiques d’intérêt, des projets de recherche en cours, des initiatives multi-acteurs dans lesquelles nous sommes partie prenante également.

Comment se positionne le BAME actuellement ?

Aujourd’hui, nous essayons de voir comment le BAME peut davantage éclairer, à la fois l’ensemble des acteurs qui sont impliqués par l’agriculture. Il s’agit de d’analyser les processus territoriaux, de documenter les impacts des politiques et programmes publics, et de mettre en lumière des constats, d’avancer des pistes d’amélioration ainsi que les opportunités d’actions différenciés des différents acteurs que sont les agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs, les éleveuses, mais également les décideurs publics.
Plus précisément, nous menons des recherches sur les conditions de la transition agroécologique pour mieux accompagner les manières de produire mieux et plus, aider une orientation des politiques territoriales orientées sur l’agroécologie, et plus largement sur les mécanismes politiques à l’échelle nationale par l’exemple liés à l’amélioration des dispositifs d’appui-conseil des agriculteurs et de leurs organisations, les politiques de subventions des intrants, etc.
Nous travaillons actuellement sur d’autres thématiques stratégique liées notamment à la gouvernance foncière, comme vous le savez, le foncier est la base productive de l’agriculture et dans ce domaine, les collectivités locales ont besoin d’accompagnement à partir d’évidences que nous produisons à partir d’enquête de suivi, de formation, d’analyses contextualisées. Nous travaillons aussi sur l’économie de l’élevage qui est un secteur important pour le développement économique, les conditions de la transition énergétique des PME de l’agro-alimentaire à partir de la valorisation des résidus de produits agricoles. La territorialisation des politiques publiques à partir de la prospective participative territoriale est également un chantier important que nous investissons de plus en plus, notamment dans le département de Fatick et bientôt dans les Niayes. Etc.

Comment appréciez-vous le feed-back des pouvoirs publics et autres acteurs ?

Il faut reconnaître qu’il y a des efforts à faire. Et c’est le commun de la recherche. J’estime que l’utilisation des résultats de la recherche peut être améliorée. De ce point de vue, l’influence du BAME doit être améliorée car il y a de la marge de progression. Il y a de la place pour donner aux différents décideurs davantage d’éclairages. Nous sommes en train d’y réfléchir parce que c’est l’objectif du BAME.
Sous ce rapport, nous travaillerons à voir comment ça peut se faire traduire au travers de notre politique, d’organisation d’évènements grand public, d’animations scientifiques, de différents mécanismes qui permettraient au BAME et à l’ISRA de manière globale de se faire entendre par les acteurs du système agricole au sens large.
Le chef de l’Etat a récemment instruit le MAER (actuel MAERSA) de lui proposer un plan d’urgence de transformation de l’agriculture en cohérence avec nos objectifs de souveraineté alimentaire.

Quels sont les leviers essentiels pour atteindre cet objectif ?

La question de la souveraineté alimentaire est agitée ces temps-ci et nous connaissons les raisons. Nous sommes dans un contexte de crise multiforme accentuée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine dont les effets sont assez fortement ressentis. C’est ce qui a poussé les décideurs au plus haut niveau, à s’inquiéter et à activer différents mécanismes de politique publique pour voir comment mieux répondes aux effets de la crise, voire anticiper les prochaines.
Mais, il faut dire que le débat sur la souveraineté alimentaire ne date pas d’aujourd’hui. Elle est inscrite dans l’agenda des politiques agricoles depuis 1996. Plusieurs acteurs se sont ainsi emparés du concept de différentes manières avec des positions très militantes, comme d’autres moins militantes mais pas moins intéressantes et importantes pour les populations que nous sommes.
Donc, si le Chef de l’Etat a instruit le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement Rural de lui proposer un plan d’urgence de transformation de le la recherche en cohérence avec nos objectifs de souveraineté alimentaire, c’est parce que la recherche agricole fait partie des piliers de cette souveraineté alimentaire.
Cette transformation de la recherche agricole est nécessaire pour que cette dernière puisse jouer le rôle qui lui est assigné.
A côté de l’ISRA, il y a d’autres acteurs de la recherche agricole comme les universités à vocation agricole, l’Institut de Technologies Alimentaires (ITA), les Thinks tanks, les institutions internationales partenaires et d’autres acteurs qui participent à la production de connaissances dans le domaine de l’agriculture.
Maintenant, si l’Etat en est conscient jusqu’à instruire le ministre en charge de l’Agriculture de fixer de nouvelles orientations, nous applaudissons des deux mains et attendons de voir concrètement ce qui en découlera. Ainsi, la recherche devra pleinement jouer son rôle dans la souveraineté alimentaire.

Quelle sera la contribution de l’ISRA dans ce vaste chantier de la souveraineté alimentaire ?

La contribution de l’ISRA se situe à plusieurs niveaux.
En ce qui concerne les productions végétales, l’ISRA est bien positionné dans la production de semences. Il a les compétences pour produire des semences de pré-base et base sur les filières prioritaires identifiées par les documents de politique agricole. Au-delà de la production de semences, il s’investit aussi dans les itinéraires techniques pour de meilleures performances de production.
Vous savez que pour produire il faut une bonne base productive comme les sols et la maîtrise de l’eau. Et à ce niveau, il y a un travail important que l’ISRA est en train de faire sur la fertilité des sols dans le contexte de la transition écologique.
Aujourd’hui, l’ensemble de nos projets travaille sur les conditions de la transition écologique et nous réfléchissons avec les acteurs au niveau des territoires pour voir comment on peut restaurer cette fertilité des sols de la manière la plus durable.
Dans le domaine de la santé et des productions animales, en dehors des recherches pour voir comment faire face aux différentes maladies qui émergent des territoires, l’ISRA se distingue pour voir comment une intensifications durable des production de viande, de lait et d’autres sous-produits avec les ressources de nos territoires sans les dénaturer et sans remettre en question leur durabilité.
Aujourd’hui, nous avons des équipes de recherches qui travaillent avec des acteurs du secteur privé national pour voir comment améliorer la production du lait local. Nous le faisons aussi sur l’amélioration génétique tout en essayant de préserver nos races locales. Parce que c’est important qu’on ne perde pas la diversité génétique.
La question du poisson est assez importante pour la souveraineté alimentaire. Et dans le domaine de la pêche, l’ISRA, à travers le Centre de Recherches Océanographiques Dakar-Thiaroye (CRODT) abat un travail remarquable. Son expertise est sollicitée dans toute la sous-région pour évaluer les ressources halieutiques.
Mieux, le CRODT est impliqué dans les nombreux programmes sur l’aquaculture mis en place par les pouvoirs publics qui sont conscients des contraintes de production de poissons de mer.
Je peux en dire autant sur la gouvernance foncière et la recherche forestière. Nous savons ce que représentent les Produits forestiers non ligneux (PFNL) dans la lutte contre la pauvreté en milieu rural notamment et celles des catégories les plus vulnérables qui sont les femmes. Les enquêtes socioéconomiques montrent à quel point ces PFNL comme le buuy, le jujube etc. procurent des revenus non négligeables aux ménages.
La recherche forestière est en train de voir comment raccourcir le cycle du baobab, comment préserver les massifs forestiers, comment faire pour que les zones communautaires aient accès à ces produits.
A côté de ces activités et thématiques de recherche, il y a la socio-économie qui est certes, moins technique, mais non moins importante.
Cette thématique de recherche s’active sur comment traduire toutes les autres recherches de l’ISRA en éclairages politiques. Et c’est cette transversalité qui explique l’implication du BAME dans presque l’ensemble des projets de l’ISRA.
Au vu de tout cela, on peut dire que l’ISRA est reconnu comme étant le cœur de ce paysage. Au Sénégal, c’est à l’ISRA qu’on fait de la recherche sur la sélection variétale, sur tout ce qui est relatif aux semences qui est un in put considérable pour l’agriculture.
Donc, si on doit réorienter nos recherches pour mieux s’adosser aux objectifs de souveraineté alimentaire, je dis que cela fait partie de nos missions dès la création de l’ISRA en 1974. A l’ISRA, on a confié la mission de produire des connaissances pour la sécurité alimentaire.
Maintenant, sous sommes conscients des faiblesses de l’institut. Des faiblesses sur les ressources humaines, les ressources financières, mais surtout la dépendance aux financements extérieurs. Ce qui réduit un peu la marge de manœuvre pour positionner les objectifs fixés dans les politiques publiques nationales.

Quelles sont les perspectives du BAME pour mieux asseoir son leadership sur le plan national ?

Je disais tantôt que l’ensemble des recherches de type agronomique et technique que l’ISRA met sur la table doit être traduit en éclairages politiques. Et cela met le doigt sur le rôle essentiel que le BAME doit jouer en interne à l’ISRA. Depuis quelques années, nous parlons du décloisonnement de la recherche pour qu’elle soit la plus transversale possible. Nous n’y sommes pas encore arrivés car nous sommes toujours dans des cloisons où chaque centre travaille sur son domaine.
Dans la compréhension de l’ossature organisationnelle de l’ISRA, le BAME est censé aider pour qu’il y ait du lien entre tous. Et il est important que cette orientation change de manière à ce que la transversalité soit plus intégrée dans les unités de recherche, qu’il y ait des équipes pluridisciplinaires qui permettent d’adresser les problématiques de recherche dans leur complexité. Cette rupture pourrait constituer une piste de décloisonnement et faciliterait la traduction des résultats en éclairages politiques.
Je peux donner quelques exemples notamment sur les céréales sèches avec les derniers résultats obtenus dans le cadre du WAAPP, dans les projets en cours et qui peuvent être traduits en éclairages politiques.
Quels sont les produits sur lesquels l’Etat doit mettre de la subvention d’intrants par exemple. Voilà le type d’information qui doit être disponible au niveau des acteurs politiques.
Comme deuxième dimension, nous estimons qu’il est nécessaire de recentrer sur l’analyse des politiques publiques. Aujourd’hui, le paysage international de la recherche est riche de guichets, de projets et d’enjeux de recherches internationaux. Le BAME étant une petite équipe, nous sommes appelés à divers consortiums.
Donc, il y a ce travail de recentrage à faire pour voir comment nos activités de recherches pourront, à terme, mettre à disponibilité des éclairages pour les politiques publiques. Et cela sort de l’ISRA car c’est dans différentes interactions avec les différents acteurs à la fois nationaux et internationaux.
Donc, à l’échelle nationale, il y a des efforts à faire pour améliorer notamment les liens avec les différentes directions du MAER (actuel MAERSA) et des ministères sectoriels qui sont dans le domaine de l’agriculture avec qui nos interactions ne sont pas si importantes que ça. Cela fait aussi partie de nos perspectives de recherche.
Un troisième volet et non moins important est également ciblé dans nos perspectives. Il s’agit de la prospective.
Si aujourd’hui on n’a pas de réflexion qui anticipe sur les crises, sur la situation de l’agriculture de demain, ce sera difficile pour les différents acteurs à savoir les producteurs ou l’Etat, de prendre les meilleures décisions.
Le BAME qui a ce volet « prospective » parmi ses thèmes de recherches entend l’améliorer en y formant ses équipes de recherches.
Dans pratiquement tous les projets que nous déroulons actuellement, nous avons une dimension prospective. Nous sommes en train de réfléchir par exemple sur l’agroécologie dans les départements de Fatick et de Tivaouane, sur les futurs de ces territoires.
Nous sommes en train de réfléchir sur comment, à partir de la prospective, on peut accompagner les collectivités locales à construire une politique publique territoriale. Parce que j’estime que le développement de l’agriculture ne pourrait se faire sans l’engagement des collectivités locales qui doivent élaborer la politique territoriale locale. C’est important que la recherche les accompagne.

*Entretien extrait de la 19e Lettre de l’ISRA, Lettre d’information réalisée par l’équipe de l’Unité de Valorisation de la Recherche et de la Communication de l’ISRA (ISRA-UNIVAL)
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